vendredi 13 août 2010

LES SENSUELLES
Olivier Umhauer





L'INFLUENCE DES FÉLINS

Chats
Hantent,
Tentent,
Shahs,

Biches,
Beaux,
Veaux,
Riches,

Fats,
Rats,
Rates,

Fous
Sous
Pattes.



2



«DES PROJETS ?»

Tout projet drôlement m'accable.
Ne venez pas m'entretenir
De ce chimérique avenir
Lorsque mon chien est irritable.

Voulez-vous me plonger vivant
Dedans la fournaise sociale
Et réduire à votre partiale
Vision du progrès mon levant ?

Des fondements de l'esthétique
Il me semblerait moins cynique
De discuter sans prévention

Que de tenter machiavélique
D'éviter la métaphysique
Pour préserver l'inattention.



3



LA BOUGIE



Tu t'éclairais à la bougie
Par miracle sans la brûler,
Précieux enchantements sous les
Draps protecteurs de la magie.

D'esprit vif à la réflexion
Tu n'attendais pas que s'endorme
Ta soeur pour comprendre la forme
Adaptée à ton émotion.

Que faudrait-il pour que revive
Ces printemps ta bouche lascive ?
Je cherche en vain. Pour mon rachat,

Dis-le vite mademoiselle ;
Tu éclaireras ma chandelle
Car je donne ma langue au chat.



4



L'EAU QUI DORT



Je... nous ? Tu articules
Craignant mon affliction.
Puis, ma bénédiction
Offerte, tu m'adules.

Neuve résolution,
Ta main prend la mesure
- Au diable la censure ! -
De la révolution.

Ta langue se dilate
M'enfonçant télépathe
Dans le crâne écumant :

Je suis le doigt, la bague,
Le fourreau et la dague,
Ta femme, ton amant.



5



LORSQUE



Je la serre à brûle-pourpoint
Lorsque m'apparaît son corsage
Porteur de l'éminent message
Dont je fournis le contrepoint.

Entreprenante observatrice,
Elle réagit comme moi
Quand l'expression de mon émoi
Confirme sa beauté motrice.

Ce temps de la célébration,
Où se révèle à la passion
La sidérale force vive,

Nous éloigne tant des prisons
De l'ego que nous le prisons
Par vocation à la dérive.



6



LES BOUTS



Tes seins divins mettent les bouts
Gonflant tes voiles davantage,
Une invitation au voyage
À dévoyer les marabouts.

Se dérobe aussitôt la terre
Sous mes pieds à cette vision.
Je me rends à la conclusion
Que mon équilibre est précaire.

Ta naturelle compassion
Me concède la permission
De me raccrocher à tes hanches.

Je ne suis plus à t'aborder
Long. Nous allons nous accorder
Un plein océan de nuits blanches.



7



LA SOURCE



Dans ce sous-bois accueillant
Les éreintés de la route,
Tu te libères. Je goûte
Un paysage attrayant.

À contre-jour une source
Jaillit, glaive adamantin,
De son fourreau libertin
Et le temps suspend sa course.

Comme un sonore frisson
Un sifflement polisson
Anime tes grandes lèvres.

Balbutiant un oremus
L'homme elles lient à l'humus
D'un trait de cristal de Sèvres.



8



CHAMBRE DIX-SEPT



Le tissu pré-industriel
Du couvre-lit grège et verdâtre
Maltraite tes jambes d'albâtre
Sous les néons bleus de l'hôtel.

Dans ce canton du Cotentin
Où le monde fuit les nocturnes
Seul un vieux manchot casse-burnes
Reste en salle à manger Chopin.

Pourtant cette soirée rustique,
Chambre dix-sept, où l'encaustique
Exhale un luxe impénitent,

Me ravit car il n'est à faire
Rien d'autre ici qu'à satisfaire
Celle qui sans sommeil s'étend.



9



!



“ Regarde-moi ! Je ne possède
Qu’un élément de ponctuation,
Signe inversé d’exclamation
Dont mon nombril est le point tiède.”

Se créditant d' un seul atout
Elle se découvrit alerte
Pour me signifier en experte
Qu' elle jouait le tout pour le tout.

Minimalisme énigmatique,
Un ornement typographique
Sur un impeccable vélin

Sans aucune autre fioriture
Indiquait le sens de lecture
De son ventre moins sibyllin.



10



VIENS !



Ta bouche abstème m'absente
Quand elle me donne à voir
En elle comme au miroir
Ma bouche bée, ô béante !

C'est dire, plus simplement,
Qu'elle absorbe ma pensée,
- L'insensée -
Subitement.

Dans cette apnée abyssale
Toute zone cérébrale
Au grand blanc ferait écho

Si tu cultivais la science
Sacrale de la patience
Où tout pousse sans un mot.



11



DIVA



Bouche entrouverte et décentrée
À l’ère du plaisir latent,
Jambes dépliées elle entend
Faire son repas de l'entrée.

Ses yeux de l’accommodation
S’émancipent quand se déversent
D’ascendants frissons, puis traversent
L'objet soumis de sa passion.

Sans en être humilié, bon prince,
Celui-ci sur un lit qui grince
Persiste à faire son travail

Pouce en l'intimité conquise
De la diva qui vocalise
Les doigts de pieds en éventail.



12



À DISTANCE



Debout tout près de toi j'appose
Ma main ouverte entre tes seins,
Façon de parler bouche close
De mes plus impérieux desseins.

Maintenant ainsi la distance
Je sens une contestation
Qui mouille tes yeux sous l'outrance
D'une sèche déglutition.

Tu avances mais – pas si vite -
Car de ta superbe en faillite
Je voudrais conserver un rien
Avant que la pudeur t'engage
À dissimuler le visage
De la souffrance qui veut bien.



13



JEU DE PLAGE



Elle élargit son cercle intime
Où monte la touffeur d’été
Offrant de son corps en beauté
Une vision illégitime.

Plaisir de ferrer face aux cieux,
Les membres en croix sur la plage,
Des solitaires sans courage
Le trouble regard licencieux.

« Tu sais, cela n’est pas grand chose
Me dit-elle, juste une dose
D’amour infiniment gratuit.

En germe c'est un sortilège
Lancé pour fleurir perce-neige
Dans l'ombre glacée de leur nuit. »



14



L'OEILLET CLOS



L'oeillet clos menace au jardin
Du philosophe la pensée
Et la jalouse fiancée
Un temps de lui se coupe un brin.

Devant l'intempestive offrande
D'un rouge froncé en bouton,
Le bel esprit devient glouton
Et sa fébrilité plus grande.

Le sobre zéphir l'entretient
Du foin qui se meurt en païen
Sous ses aveuglantes narines
Quand l'homme tout inspiration
Entre ses paumes fait pression
Sur la fleur et ses étamines.



15



AU DÉBOTTÉ



Au débotté, tu te découvres.
Tes yeux m'implorent de t'aider
Immédiatement à plaider
En faveur des voies que tu ouvres.

N'aurais-tu pas plus à donner
Que ce difficile sourire
Douloureux, autant te le dire,
Il me faudrait m'y abonner.

Texte aux mains d'une enfant farouche,
Ton corps dépasse où il se couche
La perception que tu en as.

Mon âme souvent s'y révèle
En quête de ce qu'il recèle :
Une histoire que je n'ai pas.



16



L'IMPATIENCE



Dévisager ton sexe ourlé
Par les petites mains sublimes
De Dieu, tandis que tu t'abîmes
Sous la pression, regard saoulé.

Devenir entomologiste
Face aux lèvres d'un papillon.
Se piquer du fol aiguillon.
Plonger dans l'eau rose hermétique.

Ou comme on dépose le doigt
Sur la bouche, comme il se doit
Pour entretenir le silence,

À ma langue laisser le soin
Calmement de repousser loin
La tentation de l' impatience.



17



TOTALEMENT



Heureux qui élève ses yeux
Dans la contemplation mystique
De l’ovale vulve hypnotique
Retrouvant tous ses esprits pieux.

Je suis du nombre des vernis
Dans ton si étroit cercle intime.
À ce titre-là, je m’abîme
Dans un puits d’étoiles ternis.

Profonds échos de haute écoute.
L’exclusive emprise sans doute
Je conserve de ce moment

Et la conscience salutaire,
D'être, partant, à mon affaire
Pour une fois totalement.



18



L'AMOUREUX



Comme l'Amoureux de la lame
Je me pose là, des chemins
À la croisée croisant les mains
Sur mon buste le coeur en flamme.

À mon flanc gauche, à l'opposé,
Les objets du présent dilemme.
Qui de la rubescente ou blême
Prendre ? J'ose le teint rosé.

Ne soyez à la bagatelle
Bégueules triste demoiselle
Et vous charmante apparition.
Mon appétit toujours honore
Le chaud et le froid. Omnivore
Je reste avec délectation.



19



SOUS-BOIS



Tes cuisses sur la glaise grise
J'enserre ivre de dévotion,
Prends cela pour la conversion
De mon coeur à ta sainte église.

Au sein confident du sous-bois :
Échos de fauvettes, pénombre,
Contre-plongée, ta bouche, une ombre
Aspire au souffle du hautbois.

Le ciel clément nous couvre d'eau.
Je vais semer en ton terreau
Une prière buissonnière :

Que dure cette expression
De l'abandon sans condition
À Déméter nourricière.



20




L'ATTENTE



Enclos de l'administration.
La salle d'attente est bondée.
Ma petite dévergondée
Trop y subit la tentation.

Voluptueuse militante
Elle croise impeccablement
Ses jambes. Le balancement
De son pied soudain la contente.

Un homme ici est à son goût.
Pour le lui dire elle fait tout
Ce que la discrétion suggère,

Puis en sourdine elle rugit
En s'apercevant qu'il rougit
Lorsque le tempo s'accélère.



21



L'ÉVANGILE
à Sabrina



Avec application tes mains
Cherchent à cacher ton pubis
Vêtu de noir comme Anubis
Le portier des lieux souterrains.

Je connais ce geste ludique
Qui m’invite sans diversion
À diriger mon attention
Sur une posture atavique.

Il désigne ce qu’il soustrait
- Ainsi le concile d’un trait
Promeut tous les livres qu’il biffe -

Et m’engage à discrétion
À prendre ton discret sillon
Pour un évangile apocryphe.



22



BON PLAN



Son cul fonderait un bon plan
(Comprenez-le, c'est une image)
Plus nu d'être resté tout blanc
Sans traître marque de bronzage.

Dans la pénombre du sommeil,
Tout comme un rehaut, il dirige
L'attention et n'a son pareil
Pour l'initier bien au vertige.

Déridons les plus érudits
Férus du Grand OEuvre! Ma muse,
Au fait d'ouvrages inédits,

Esquisse une déposition :
« Ce contrepoids blanc de céruse
C'est l'aplomb de la perfection. »



23



SOIERIES



Si lisses soieries, accessoires
Nourrissant le bout de mes doigts
Tant qu'en ton absence je dois
Les libérer de tes armoires...

Mais puisque enfin tu me reviens
Du diable vauvert en nuisette,
J'oublie le jeûne et la disette ;
Mieux qu'un tu l'auras j'ai deux tiens.

Ta main poseuse localise
Ton sexe voilé qu'électrise
La moire et sinue ma raison.

Comment dire sous son empire
Quelle est la suavité la pire
De la soie ou de ta toison ?



24



VOYAGE



L'ennui lui ravit sa pudeur
Ainsi que sa figure altière.
Ce long voyage ferroviaire
Échappe enfin à la tièdeur.
Tout le compartiment somnole.
Elle me prend seul à témoin
De cet intrépide besoin
Qui la met dans une humeur folle.

Elle est assise devant moi,
Ses genoux à tu et à toi
Avec les miens. Je me concentre

Sur sa main qui glisse en un clin
D'oeil dedans sa poche, au déclin
D'un soleil qui brûle le ventre.



25



L'ESPRIT



Atlas est heureux ! Sur les bras
Qui donc t'a collé Démosthène ?
Viens chez moi demain tu auras
De l’esprit et De La Fontaine.

Le premier, au cieux en dépôt,
Vient tôt aux filles par la bande
Sans trop tourner autour du pot,
Profond comme une sarabande.

Je t’aiderai sans déplaisir
Si tu le veux à l’obtenir
Et ferai tout pour que tu puisses

Garder du grand art la passion
Et sans vile modération
Que de La Fontaine tu jouisses.



26



SATURNIENNE



Entre deux eaux une méduse
Flotte en ton esprit saturnien.
Ça ne confère à ta cambuse
Pas l'éclat du fauve uranien.

J'occulte ton blues en ses fêtes.
D'autres félins j'en ai sans mal
À fouetter, badines conquêtes
Au-delà de l'ordre humoral.

Hélas à ces excès j’excelle,
En attendant, mon aquarelle
Qui sortit la tête du lot,

Comme l'essence l'étincelle,
De ta bouche qu'un charme scelle,
La délivrance ou le fin mot.



27



LE PARDON



Offre-moi d'être un brin gaulois
Toi qui me connais fleur bleuette.
Il faut accorder en esthète
Au vase la plante parfois.

Si l'inconstance est ma nature,
Tâche de ne t'en fâcher point
Car avec elle souvent point
La surprise et la démesure.

Tu as sous tes yeux le produit
De l'abstinence d'une nuit
D'octobre bien peu littéraire.

Puisque tu l'as sollicité
Accorde-lui droit de cité
Au sein d'un palais adultère.



28



ÈVE



En société correctionnelle
Ève se laisse décrier
Fière en son quant-à-soi rebelle
Sans à tout prix vouloir briller

Mais rayonne presque euphorique
Sitôt qu’elle fait corps à son
Démon de Vénus atypique
À croquer comme un calisson.

Il impressionne, elle domine
Alors que la tension culmine
Son monde conquis brillamment

Car sous leur magnétique emprise
Toute fine bouche entre en crise,
Puis abonde en leur sens aimant.



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SONNÉ
À Pascale



Mieux qu'une banale saillie,
Pour t'honorer durablement,
J'ai conçu cet assortiment
De mots sur une mélodie.

Si le succès me fait cortège,
Tu le montreras à ton gosse,
Et si la critique est féroce
Tu lui feras un sortilège.

J'avais pensé à un sonnet…
Autoportrait homophonique,
Extravagant un tantinet…

Alors, dernier tercet épique,
Toi qui transformes mon destin,
Reçois en hommage esthétique,
Point d’orgue enchanté, ce quatrain.



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